mercredi 12 octobre 2022

[Critique/Inspi] Tokyo Vice de J.T. Rogers





 

 

Jake Adelstein fuit ses problèmes familiaux pour s'installer au Japon, où il ambitionne de devenir journaliste. Mais être un gaijin ne se révèle pas de tout repos, surtout quand il commence à se mêler des histoires des Yakuzas, des flics corrompus et de la drogue. La ville de Tokyo va alors lui montrer son visage le plus sombre.


Tiens, que vient faire un polar HBO sur ce blog ? Il est vrai que j'ai l'habitude de ne parler que de l'Imaginaire au sens large dans cet espace, mais Tokyo Vice a réveillé en moi quelque chose. Pourquoi ? J'ai envie de répondre avec un nom : Michael Mann.

Je suis un admirateur convaincu du polar mannien et cela fait malheureusement depuis 2015 et l'intéressant Hacker que je n'ai pas profité de sa réalisation classieuse, ou de sa capacité très particulière à brosser le portrait de personnages talentueux - talentueux, mais à problème. Bref, en annonçant que Mann serait derrière la série (réalisation du 1er épisode + producteur exécutif), HBO avait gagné un spectateur par avance.


Tokyo Vice aborde des thèmes très classiques quand on pense polar et qu'on y associe le Japon : le décalage culturel fort, les yakuzas, la vie dans une très grande ville etc. Il y a une imagerie très forte là derrière, que la série embrasse assez facilement. Et elle reste très classique aussi dans son scénario. Si l'histoire principale tourne autour de Jake Adelstein, américain venu au Japon pour devenir journaliste dans un grand média de Tokyo, on découvrira également la vie d'autres expatriés, un flic ripoux, un yakuza en proie à de grandes questions sur son avenir, un flic incorruptible ou un parrain très sévère. Bref, rien de très neuf là derrière.

Pourtant, la série dégage une grande personnalité sur deux points : son visuel et sa capacité à développer des personnages complets.



 

 

J'avais donc beaucoup d'espoirs visuels sur ce projet, vu qui travaillait dessus. Michael Mann y pose des bases visuelles dans le premier épisode, avec son talent habituel : caméras à hauteur d'homme, plans superbes de Tokyo, travail sur les jeux de lumière, il fait le travail proprement. Mais la série va dériver ensuite visuellement, avec un réalisateur plus rompu à la télévision (Josef Kubota Wladyka, réalisateur sur Narcos) ou un autre plus connu, mais qui échouera à donner de l'intensité dans le final (Alan Poul, fidèle de Sorkin qui a commencé sa carrière sur Six feet under).

La plus impressionnante découverte visuelle est la patte de la réalisatrice japonaise Hikari. Elle signe le binôme des épisodes 4 et 5 et reprend à son compte la patte Mann, notamment la prise sur le vif que le réalisateur a beaucoup travaillé depuis Collateral et Ali. Cela rend une patine très cinéma à l'ensemble et la réalisatrice fait preuve d'un talent au-dessus des autres, très clairement. La conclusion de l'épisode 5, notamment, est un modèle de tension et de lisibilité qu'on regrettera de ne pas retrouver dans le final.


 

J'ai aussi beaucoup apprécié les personnages développés dans Tokyo Vice. Pendant deux épisodes, la série s'attache surtout à Adelstein (excellent Ansel Elgort) et à nous faire découvrir le mur culturel qu'il affronte. Puis quand le spectateur s'habitue aux mœurs différents des japonais, il peut plonger dans les enquêtes et découvrir une foule de personnages. Si le policier incorruptible (Ken Watanabe, tout en charisme) n'est pas beaucoup creusé, on creuse au fil des histoires une hôtesse de luxe qui a de l'ambition (Samantha jouée par Rachel Keller), un wannabe Yakuza qui découvre cet étrange choc entre l'honneur et l'aspect sale du métier (Sato joué par Shô Kasamatsu), ou une journaliste qui peine à progresser dans sa vie et sa carrière, mais qui garde des idéaux sur la place des femmes au sein d'une société qui ne veut pas écouter (Eimi interprétée par la très bonne Rinko Kikuchi). Il y en a d'autres que l'on pourrait citer.

A travers leurs petits destins individuels, la série nous parle du Japon et de Tokyo en particulier. Elle nous raconte les mœurs, les réflexes, les vies de tous les jours de cette grande ville où modernité et tradition ne cessent de se télescoper. Elle nous parle de la face visible d'un capitalisme en plein explosion, de la course à l'information, mais aussi de la partie sombre avec ses clubs chics où le mot prostitution est un gros mot, où les flics et les journalistes fricotent avec les malfrats tout en jouant avec la ligne rouge. En cela, l'histoire narrée sur les huit épisodes est très construite et reste assez dense pour toujours avancer, quitte à laisser un personnage de côté pour y revenir plus loin.

 

 

Qu'est-ce que j'en retiens ?

C'est cette narration qui m'a maintenu dans la série, malgré quelques défauts (notamment un dernier épisode assez raté). Tokyo Vice est la première écrite par J.T. Rogers, qui a beaucoup évoqué sur le net ce métier, nouveau pour lui, de showrunner. Il s'inspire du livre d'Adelstein (Un journaliste américain sur le terrain de la police japonaise, Tokyo Vice) tout en romançant certains passages pour aider à dramatiser la série.

Cette capacité à dramatiser, à travestir la réalité pour servir le récit ne doit pas être occulté quand on travaille sur des textes historiques, à fortiori quand ils sont fantasysés. Une citation que j'ai lu récemment de John Grisham m'a marqué : "Mark Twain disait qu'il déménageait les villes, les comtés et même les Etats pour les besoins de ses livres. Rien ne m'arrête, moi non plus. Si je ne trouve pas un bâtiment, je le construis de toutes pièces. Si le tracé d'une rue ne correspond pas au plan, je refais le plan. Au total, environ une moitié des lieux décrits est exacte. L'autre moitié est, soit imaginée, soit déformée, soit déplacée de telle façon qu'il vous sera impossible de les reconnaître. Quiconque est à la recherche d'authenticité perd son temps. Ce qui ne veut pas dire que je n'essaie pas d'être exact."

Etre fidèle ou trahir, voilà un enjeu fort intéressant et qui nécessite beaucoup de réflexions.

J'apprécie enfin la capacité à raconter le monde à travers les personnages : c'est un talent difficile à maîtriser, car il faut trouver l'équilibre en l'esquisse et la démonstration, une pensée à méditer de mon côté !

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