Cette semaine va nous conduire dans le désert ! En route pour Arrakis, où je vais vous parler du diptyque de Denis Villeneuve adaptant Frank Herbert : Dune. Pour commencer, je vous propose un avis sur la première partie. Cet avis avait été rédigé, à l'origine, pour eMaginarock.
L’existence de ce Dune est un petit miracle en soi : en chantier pendant 5 ans, le film a connu de nombreux réalisateurs et faux démarrages avant que le réalisateur Denis Villeneuve ne s’en empare. Même arrivé à ce stade, Dune a encore connu des coups d’arrêt. L’échec de Blade Runner 2049 au box-office a érodé la confiance des studios Warner Bros et poussé le réalisateur à ne réaliser qu’un film, alors que le tournage de deux volets ensemble était prévu dès l’origine. Le Covid a également retardé sa sortie.
Mais ça y est, il est là. 35 ans après le semi-échec de David Lynch, que vaut le cru Dune des années 2020 ?
Arrakis. Dune. Nous avons tous des images liées à cet imaginaire. Je ne suis donc pas un ayatollah de l’univers, je préfère l’indiquer en préambule. J’en profite pour vous prévenir que la suite contient des spoilers sur le film.
Un récit clair qui embrasse le point de vue de Paul
Les Atréides vivent sur Caladan quand un émissaire de l’Empereur vient les avertir qu’ils sont nommés administrateurs d’Arrakis, la planète de l’épice. Cette épice est un élément essentiel qui permet le voyage spatial. Le duc Leto, chef de la maison, n’est pas dupe : c’est un piège. Mais il va tenter de réussir malgré tout. Pendant ce temps, Paul achève la formation qui fait de lui l’héritier de Leto. Il rêve et ses visions le conduisent sur Arrakis.
Dans cette première partie, Denis Villeneuve pose ses enjeux et construit les bases de compréhension de l’univers de Dune. La construction de cette grande introduction est parfaite : didactique, le réalisateur nous prend par la main et parvient à nous montrer qu’il existe un gigantesque univers autour de nous, plein de promesses, mais que nous nous attacherons surtout aux pas des Atréides, de Paul en particulier. J’ai trouvé que le montage, très ludique, rendait simple ces transitions entre Arrakis, Caladan ou Giedi Prime tout en aiguillant le spectateur sur Paul et ce qui va arriver. C’était un équilibre difficile à trouver, qui donne une exposition très réussie, comme l’introduction du pouvoir de la Voix, très réussie à l’écran.
Plus nous avançons, plus le film ressert son focus sur Paul. Ce personnage est typiquement villeneuvien : écrasé par un destin qu’il n’a pas choisi, par ces visions d’un possible avenir sombre et meurtrier, il ne trouve pas d’échappatoire. Timothée Chalamet est parfait dans ce rôle. Les premiers extraits m’avaient fait craindre un choix trop fade pour un tel rôle, que l’acteur dément très rapidement. Dès la scène du test du Gom Jabbar face à la Révérende Mère, il démontre une vraie présence et une capacité à transmettre beaucoup de sentiments par le regard. L’évolution du personnage va le conduire du jeune homme torturé au rôle de Duc prêt à se battre et son jeu restitue à merveille cette progression.
Le récit en fait le point central. La plupart des personnages n’existent que parce qu’ils parlent de lui ou avec lui. Villeneuve joue avec nous sur la notion de Messie et de prédestination, en le plaçant au centre du montage et des dialogues. Il y a une réelle fatalité qui frappe Paul et seuls ses rêves lui montrent d’autres voies. Les visions qui animent Paul évoluent avec le personnage : d’abord floues, elles dérivent sur des futurs possibles et des interprétations fluctuantes. Un exemple parmi d’autres est le personnage de Jamis joué par l’acteur Babs Olusanmokun. Le spectateur le découvre au détour d’une vision où il y explique à Paul qu’il va l’aider à découvrir les traditions du désert. C’est effectivement ce qui se passe, d’une façon singulière : Jamis le défie en duel et lui apprend à la dure les mœurs Fremens, jusqu’à obliger Paul à le tuer pour achever son initiation.
Dune offre une narration visuelle
Ce faux semblant est renforcé par le choix de Villeneuve de fortement colorer les rêves de Paul, à l’opposé de l’esthétique terne conçue pour le reste de Dune. Plus le film avance, plus cette clarté colorée se heurte à la brutalité des visions sanguinaires où Atréides devient l’inspirateur d’un djihad fanatique. C’est par l’image seule que Villeneuve réussit à transmettre ces valeurs sans sur souligner l’explication narrativement. Paul n’aime pas ce qu’il voit et ne parvient pas toujours – ou trop tard – à comprendre certaines inspirations. Au point que le scénario va au bout de cette idée : dans les dernières images, Paul tue son premier homme et semble s’orienter sur cette voie inéluctable qu’il voulait éviter. Shani le confirme dans la dernière phrase du film : ce n’est que le commencement.
Cette esthétique terne évoquée plus haut est un choix assumé par le réalisateur car il témoigne de l’ambiance mortifère et de la fin de cycle de l’Empire. Récapitulons ce que Villeneuve nous en montre : les Atréides sont enfermés dans un mausolée en décrépitude à Caladan ; les Harkonnens sont des capitalistes qui ont sombré dans la folie ; l’Empereur ne soutient son pouvoir qu’à l’aide d’artifices, d’un protocole écrasant et ridicule aux Sardaukars fanatiques et aveuglés par la soif de sang. Ce temps se meurt.
La solennité et le profond sérieux pour lequel a opté le réalisateur canadien suivent cette idée d’un monde froid, où la seule chaleur se trouverait dans l’esprit plutôt que dans la réalité. Villeneuve continue ici à utiliser une photographie qui compose son style, dans la lignée de Premier Contact ou Blade Runner 2049. Les emprunts à ce dernier sont bien visibles, d’un palais aux allures de société Tyrell à cet omnicoptère plongeant dans la tempête de sable, ou encore ces éclairages de salles à Arrakeen où seules de fines meurtrières laissent passer la lumière.
Et comme dans ces derniers, il développe un gigantisme qui écrase les personnages et crée des visions incroyables : les vaisseaux de transport Atréides qui sortent de la mer ; les vaisseaux spatiaux gigantesques de la Guilde aux côtés desquels les lunes elles-mêmes paraissent petites ; un vers des sables gobe une moissonneuse en quelques instants. Visuellement, le film frappe fort diverses manières. Quand Paul découvre le poids de son destin, c’est dans la brume où sa mère et lui sont des silhouettes diffuses, par contre le spectateur voit frontalement la mort de Leto, gisant comme dans une peinture à la table des Harkonnens.
Des choix qui peinent à convaincre
Malgré ce talent visuel, les choix scénaristiques de Dune peinent parfois à convaincre. Beaucoup d’acteurs n’ont que quelques minutes pour défendre leurs personnages à l’écran, ce qui les prive de leur intérêt. Par exemple, les Harkonnens sont à peine esquissés et seul Stellan Skarsgard donne un peu de « vie » (si l’on peut dire) au Baron, bien aidé par la mise en scène. Jason Momoa se débrouille bien en Duncan Idaho et il a l’intérêt d’avoir les deux morceaux de bravoure du film. Mais Josh Brolin, Dave Bautista, Charlotte Rampling, David Dastmalchian ou Javier Bardem n’ont pas cette chance. L’autre rôle qui souffre à l’image est celui de Dame Jessica, interprétée par Rebecca Ferguson. Larmoyante, elle passe son temps à pleurer pour redevenir, l’espace d’un instant, une impitoyable Bene Gesserit. Perturbant.
Vu la densité des évènements racontés, Denis Villeneuve fait le choix de l’ellipse et ce n’est pas toujours une réussite. A partir de l’arrivée sur Arrakis, les évènements s’enchainent (trop) rapidement, sans que le spectateur ne puisse vraiment comprendre de l’épice ou l’urgence derrière l’attaque qui frappe Arrakeen. C’est dommage, car cette bataille est très réussie malgré le choix de faire de l’anti-épique au profit du réalisme. En effet, elle est montée en ellipses elle aussi, laissant le spectateur assister à des parcelles de combat et lui laissant le soin d’imaginer la suite. Quelques scènes y sont particulièrement réussies, par exemple la contre-attaque de Gurney portée par les cornemuses, le bombardement, la ligne d’Atréides prise en traitre par les Sardaukars ou l’évasion de Duncan.
Le choix de ne pas faire de la bataille le climax du film est par contre un choix payant. Il surprend, d’abord, mais permet de boucler la première partie de l’arc narratif de Paul. Il laisse surtout une respiration bienvenue, à peine parasitée par une scène de nuit avec un ver des sables, probablement la seule faute de goût vraiment marquante.
Dernier choix qui peine à convaincre, c’est la musique d’Hans Zimmer. A dire vrai, j’aime la musique et ses thématiques (House Atreides, Paul’s Dream par exemple) et je suis emballé par le résultat à l’écran. Mais Villeneuve ignore le silence. Il y a de la musique constamment à l’écran, ce qui est sensé, je pense, renforcer le gigantisme et la solennité de l’ensemble. Ça ne fonctionne qu’imparfaitement, car les images se suffisent à elles-mêmes.
Conclusion
Dune n’est pas un blockbuster comme on peut l’entendre depuis dix ans : il est lent, plutôt contemplatif et avare en scène d’action. Ça ne veut pas dire qu’il n’est pas passionnant par son approche du destin de Paul ou les idées visuelles qu’il déploie. C’est un film qui met la narration visuelle au cœur de son dispositif. Il est improbable de constater que la Warner a laissé à Denis Villeneuve les coudées franches pour réaliser le film qu’il souhaitait. Tant mieux pour le spectateur.
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