Cet avis est écrit dans le cadre de l'exercice de recensement autour de la Fantasy antique en France.
Les rois du monde de Jean-Philippe Jaworski
1) Des déboires éditoriaux
Cette saga des Rois du Monde se mérite, pas seulement par sa longueur, mais aussi par l'apparente complexité de son édition par les Moutons Electriques. J'ai rencontré moult déboires pour lire les romans de Jean-Philippe Jaworski. En effet, les éditeurs m'avaient un peu perdu avec
leurs branches qui servent de découpage à l’œuvre et on sent bien, à la lecture, que Jaworski
aurait pu faire un tome unique (ou 2) à chaque fois sans dénaturer le contenu. Cet article résume très bien le bordel ambiant autour de la sortie de ces romans.
Après m'être trompé de branche
(acheté le tome quatre au lieu du deux, enfin la branche trois à la place de la
branche deux....ou peut-être pas), puis après avoir constaté que le deux dans
l'édition que je suivais était indisponible - la série ressortant avec
des couvertures pas du tout assorties à la première édition de Melchior Ascaride, j'ai enfin mis la main
sur les Grands Arrières (aka le troisième épisode, ou la deuxième partie du second, on ne sait plus trop), ce qui m'a convaincu de continuer ma lecture du cycle.
Le premier épisode, Même pas mort,
m'a fait forte impression : on y suit le récit de Bellovèse qui raconte ses aventures entre sa jeunesse, ses premiers combats et...sa mort. J'y ai retrouvé ce que j'aime chez l'auteur : son style très agréable et complet vient au service de l'Antiquité Celtique et surtout à la mythologie de celle-ci. Le point de
vue est celui d'un Héros (comprendre, guerrier celte) en fin de vie
contant ses aventures de sa jeunesse à sa fin. Ce premier tome s'arrête
bien sûr quand commence l'aventure, mais l'aspect mythologique est
traité avec une densité difficilement explicable. C'est un
impressionnant dispositif avec des intrigues imbriquées, un jeu
incroyable avec le folklore. C'est une excellente
introduction, riche et forte. Le seul reproche à lui faire est le construction narrative, car il faut s'accrocher avec les va et viens entre les époques. Mais cette exigence ne me semble pas gênante, surtout qu'elle s'estompe nettement dans la suite.
Le second, De meute à mort, m'a semblé moins complet et provoque chez moi une réaction
plus tranchée. On retrouve le goût de Jaworski pour les intrigues
politiques bien menées, où la tension est palpable. Bellovèse se montre
toujours aussi agréable à suivre dans ses pensées, alors qu'il accompagne son oncle dans un rassemblement sur le territoire des Turons. Il creuse encore l'aspect religieux, ce qui donne quelques scènes très intrigantes. Mais le tome nous
laisse au milieu du guet, après de grands moments (Autricon, le mode
Berserk face aux Turons, la rencontre avec le Forestier). J'en ai été
frustré....
Et voilà Les Grands arrières, aka T3, aka Chasse royale partie 2. Pour ce nouvel épisode, on avance bien dans l'intrigue : les révélations
s'enchainent et j'ai beaucoup aimé le développement de certains personnages, comme le Gutuater.
Bellovèse reste égal à lui-même, même si j'ai regretté que sa "très"
longue balade champêtre dure aussi longtemps - seuls les flashbacks y
sont intéressants. Les scènes d'action finales sont bien menées également. C'est un excellent volet.
Et là, le Tome 4 me semble faire patatras. Lancé
sur une piste très intéressante, Jaworski perd 250 pages sur un siège.
Bien entendu, l'auteur a du talent, c'est indéniable, il mène bien sa
barque. Mais l'intrigue n'avance pas d'un iota au point que nous en
sommes quasi au même point à la sortie du tome, ce qui est très
énervant. Le siège est sans surprise, sans aspérités aussi, disons que
l'on est loin de Légende. Cette partie était sûrement destinée à faire
partie d'un tome plus long, ce qui se serait compris, mais là, en
l'état, j'ai vraiment eu l'impression d'avoir été volé de 20€ pour faire
un sur-découpage tout à fait inutile, ce qui est dommage...
Le dernier opus de cette 2e branche (4e volume, 5e tome sic !) est très agréable à lire, Bel repartant en quête pour chercher son oncle dans un pays ravagé par la guerre. D'images saisissantes en moments étranges, Jaworski fait ce qu'il sait faire de mieux : nous glisser dans les pas de la quête de son héros. La série aura été meilleure sur ses tomes impaires (1,3,5) que paires. Reste quelques défauts : un tarif toujours exagéré pour si peu de pages, un twist de fin qui laisse sur sa faim (surtout qu'on ne sait pas trop si et quand la suite arrivera).
Je peux donc donner un avis sur l'ensemble et je suis mitigé : je pense qu'il y avait moyen de faire un peu plus court. J'ai eu parfois le sentiment que c'était délayé, alors que je n'avais cette impression sur Gagner la Guerre par exemple. Les personnages sont biens, l'aventure générale nous plonge bien dans l'ère Celtique même si l'on perd cette notion de narration à un marchand qui amplifiait l'aspect mythologique. Mais je pense qu'il y avait moyen de faire encore mieux en resserrant l'intrigue pour lui donner plus de force. En l'état, ce n'est "que" bien.
2) Et sinon, historiquement ?
Jaworski le dit lui-même, nous sommes plutôt dans de la Fantasy mythique. D'un point de vue historique, voilà ce que l'auteur en dit lui-même : "La source d'inspiration historique est infime et isolée : quelques lignes du livre V de l' 'Histoire romaine' de Tite-Live, confirmées par nul autre écrivain antique, et d'autant plus matière à caution que l'historien romain écrit six siècles après les faits qu'il rapporte… Cela étant, pour peindre la société celte, ses mœurs, ses paysages, jusqu'à son onomastique et sa toponymie, je m'appuie sur une documentation abondante : travaux d'archéologues, d'épigraphistes, de linguistes, d'historiens des religions. Je propose donc, dans l'état actuel des connaissances, une reconstitution vraisemblable car très étayée, mais pas une reconstitution historique." (Source)
Il est toujours bon de citer Tite-Live, pour voir de quoi nous parlons :
« Pour ce qui est du passage des Gaulois en Italie, voici ce qu'on en
raconte : à l'époque où Tarquin l'Ancien régnait à Rome, la Celtique,
une des trois parties de la Gaule, obéissait aux Bituriges, qui lui
donnaient un roi. Sous le gouvernement d'Ambigatus, que ses vertus, ses
richesses et la prospérité de son peuple avaient rendu tout-puissant, la
Gaule reçut un tel développement par la fertilité de son sol et le
nombre de ses habitants, qu'il sembla impossible de contenir le
débordement de sa population. Le roi, déjà vieux, voulant débarrasser
son royaume de cette multitude qui l'écrasait, invita Bellovèse et
Ségovèse, fils de sa sœur, jeunes hommes entreprenants, à aller chercher
un autre séjour dans les contrées que les dieux leur indiqueraient par
les augures : ils seraient libres d'emmener avec eux autant d'hommes
qu'ils voudraient, afin que nulle nation ne pût repousser les nouveaux
venus. Le sort assigna à Ségovèse les forêts Hercyniennes ; à Bellovèse,
les dieux montrèrent un plus beau chemin, celui de l'Italie. Il appela à
lui, du milieu de ses surabondantes populations, des Bituriges, des
Arvernes, des Éduens, des Ambarres, des Carnutes, des Aulerques ; et,
partant avec de nombreuses troupes de gens à pied et à cheval, il arriva
chez les Tricastins. Là, devant lui, s'élevaient les Alpes [...]
Pour eux, ils franchirent les Alpes par des gorges inaccessibles,
traversèrent le pays des Taurins, et, après avoir vaincu les Étrusques,
près du fleuve Tessin, ils se fixèrent dans un canton qu'on nommait la
terre des Insubres. Ce nom, qui rappelait aux Éduens les Insubres de
leur pays, leur parut d'un heureux augure, et ils fondèrent là une ville
qu'ils appelèrent Mediolanum. »
— Tite-Live, Histoire romaine - Livre V, 34.
Il me semble en effet que Jaworski présente un récit crédible sur les Celtes qui aborde de nombreux pans de la vie d'alors en Gaule : religion/rituels, société, etc. Il joue également fort bien avec les oppositions politiques, donnant à l'ensemble un vernis très réaliste. La présence forte de divinités dans la narration donne ce ton mythique à l'ensemble, très présent dès le premier tome et qui reviendra de loin en loin à travers des personnages comme le Forestier.
Même si l'histoire générale me semble moins réussie que son univers du Vieux Royaume, la lecture s'impose pour tous ceux qui aimeraient s'immerger dans la Gaule des VIème et Vème siècles avant J.C., un contexte peu commun et très bien traité par l'auteur.
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